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Sanae Jeddoubi : une femme au cœur de l’ahidous, entre tradition et modernité

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Dans le village reculé d’Oulmes-Aqchmir, niché au cœur des montagnes de l’Atlas marocain, une jeune femme défie les conventions et redéfinit les contours d’un art millénaire. À seulement 20 ans, Sanae Jeddoubi est devenue la première femme à diriger une troupe d’Ahidous, une danse collective amazighe rythmée par des chants et des percussions. Avec audace et détermination, elle incarne un nouvel élan pour le patrimoine culturel marocain, mêlant respect des traditions et modernité.

Une vocation née au cœur des traditions

L’histoire de Sanae commence lors d’une chaude nuit d’été, au milieu d’un mariage amazigh. C’est là, à l’âge de onze ans, qu’elle fait ses premiers pas dans le cercle d’Ahidous, captivant son entourage par sa spontanéité et son talent. « Ils ont découvert que j’étais possédée par la folie de l’Ahidous », se souvient-elle avec un sourire. Ce moment marque le début d’une aventure hors du commun.

Son oncle, alors chef de troupe, voit en elle un potentiel exceptionnel et prend une décision audacieuse : il lui confie le rôle de « Tamsurt » — une position de leader strictement réservée aux hommes. Ce geste, bien que révolutionnaire, suscite à la fois admiration et scepticisme.

Entre résistances et soutien familial

Le chemin de Sanae n’a pas été sans embûches. Dans un milieu profondément patriarcal, où les traditions sont fortement ancrées, elle fait face à des regards critiques et parfois hostiles. « Certaines personnes m’encouragent, mais d’autres ne peuvent accepter qu’une femme dirige une troupe d’Ahidous, non à cause de l’art, mais à cause de mon genre », explique-t-elle.

Heureusement, sa famille joue un rôle clé dans son parcours. Son père, fervent soutien de ses ambitions, l’encourage à poursuivre ses études tout en nourrissant sa passion. Sa mère, bien que partagée entre inquiétude et fierté, finit par accepter ce choix atypique, réalisant qu’il reflète l’esprit libre et courageux de sa fille.

L’équilibre entre tradition et innovation

Sanae a su concilier ses engagements artistiques avec son parcours académique. Après avoir obtenu son baccalauréat en 2022, elle s’inscrit en droit à Rabat avant de se tourner vers le théâtre, sa véritable passion. Soutenue par l’actrice marocaine Latifa Ahrar, elle intègre finalement l’Institut Supérieur d’Art Dramatique et d’Animation Culturelle (ISADAC). Cette double trajectoire reflète son désir d’enrichir l’Ahidous par d’autres formes d’expression artistique tout en préservant son essence.

En 2023, elle fonde sa propre troupe, « Tifsa », qui signifie « renaissance » en amazigh. Constituée de jeunes artistes de diverses origines, cette formation apporte un souffle nouveau à la danse amazighe, mêlant créativité et respect des codes traditionnels. Les costumes richement colorés — vert pour la fertilité, jaune pour l’énergie, rouge pour la noblesse — racontent une histoire ancestrale tout en s’ouvrant à la modernité.

Une inspiration pour les femmes amazighes

Sanae est devenue une figure emblématique pour les femmes amazighes, en particulier dans les régions rurales où les normes sociales restent rigides. « J’ai pensé aux femmes marginalisées de ma région, et j’ai craint que mon retrait n’envoie un message de défaite », confie-t-elle. Son courage a inspiré une nouvelle génération : aujourd’hui, quatre autres femmes dirigent des troupes d’Ahidous à travers le Maroc, signe d’un changement profond.

De l’Atlas aux scènes internationales

Les ambitions de Sanae dépassent les frontières marocaines. Elle rêve de présenter « Tifsa » sur des scènes internationales afin de faire rayonner l’Ahidous dans toute sa richesse et sa singularité. « Mon objectif est de préserver cet art ancestral tout en y ajoutant une touche contemporaine », explique-t-elle. Sur scène, elle incarne pleinement le rôle de « Tamsurt », guidant sa troupe avec passion et discipline.

Une histoire de transmission et de renouveau

Le parcours de Sanae Jeddoubi est bien plus qu’une réussite individuelle : c’est un symbole de résilience et de transformation culturelle. À travers chaque représentation, elle célèbre une identité plurielle, unissant passé et futur dans une harmonie vibrante. Chaque pas de danse, chaque battement de tambour, réaffirme l’importance d’un héritage vivant, porté par la vision d’une femme qui a osé briser les barrières.

Sanae incarne une promesse : celle d’un patrimoine amazigh qui s’enrichit sans se diluer, un art qui reste fidèle à ses racines tout en s’ouvrant au monde.