

L’une surgit dans les ténèbres, l’autre attend au bord de la forêt. L’une fait trembler les hommes, l’autre éveille leur loyauté. À elles deux, Aïcha Kandicha et Hayna forment un miroir fascinant de la féminité dans les contes populaires marocains. L’une incarne la peur, la tentation, l’insoumission. L’autre incarne la douceur, la fidélité, la vulnérabilité. Mais toutes deux, chacune à leur manière, incarnent la puissance cachée des femmes dans l’imaginaire collectif.
Aïcha Kandicha, souvent évoquée sous un voile de terreur, est l’une des figures les plus énigmatiques du folklore marocain. Dépeinte comme une femme magnifique au regard magnétique et aux jambes de bête, elle hante les rivières et les points d’eau à la tombée de la nuit. Elle séduit les hommes pour les faire disparaître, parfois jusqu’à la folie. Ce que la légende a transformé en monstre pourrait pourtant trouver sa source dans une mémoire plus ancienne. Car dans certaines versions, Aïcha Kandicha n’est pas une créature démoniaque, mais une femme guerrière, issue du nord du Maroc, qui aurait séduit puis tué des soldats portugais durant l’occupation coloniale. Par vengeance. Par justice. Par ruse.
Son image, façonnée par les peurs masculines et les superstitions, devient alors le symbole d’une liberté insupportable. Une femme insaisissable, libre de son désir, capable d’humilier ou de punir. Légende populaire ou récit patriarcal inversé, Aïcha Kandicha fascine autant qu’elle dérange. Elle rappelle que la puissance féminine, lorsqu’elle échappe aux normes, est aussitôt cataloguée comme dangereuse.
À l’opposé du spectre, Hayna incarne une féminité douce, protégée, presque passive. Issue d’un conte tragique, transmis dans plusieurs régions du Royaume, elle est la fiancée d’Adil, un jeune homme parti étudier loin du village. Un jour, alors qu’elle ramasse du bois avec les autres filles, elle se perd dans la forêt et se fait enlever par le Ghoul, l’ogre légendaire, incarnation du mal. Commence alors un long enfermement, une attente silencieuse, jusqu’au retour d’Adil, qui refuse de croire à sa mort et entame une quête bouleversante pour la retrouver.
L’histoire d’Hayna est celle de l’amour absolu, de la fidélité sans faille, mais aussi celle de la fragilité d’une femme isolée, incapable de se libérer sans l’aide de l’autre. Elle est prisonnière, patiente, résignée. Son salut ne vient pas d’elle-même, mais de celui qui l’aime. Pourtant, le récit est loin d’être manichéen. À travers les métamorphoses – Hayna transformée en chienne, Adil en corbeau – le conte dévoile une vérité plus profonde : l’amour est une force capable de traverser les malédictions, mais aussi un combat long, semé de ruptures et de transformations.
Entre Aïcha Kandicha et Hayna, se déploie toute l’ambiguïté de la place des femmes dans les contes marocains. L’une est trop forte, trop libre, trop sensuelle, et devient une menace. L’autre est trop douce, trop protégée, et devient une proie. Et pourtant, toutes deux révèlent, chacune à leur façon, les tensions culturelles autour du féminin : désir et peur, liberté et enfermement, puissance et sacrifice.
À l’heure où le Maroc se penche de plus en plus sur la valorisation de son patrimoine oral, ces deux figures méritent d’être redécouvertes, non pas comme des stéréotypes figés, mais comme des miroirs culturels complexes. Aïcha Kandicha et Hayna ne sont pas seulement des personnages de contes : elles sont les reflets des fantasmes, des angoisses et des espoirs qu’une société projette sur ses femmes.
Profitant de son passage à Casablanca, la chanteuse...