

Trois organisations marocaines – Kif Mama Kif Baba, Médias et Cultures (AMC) et l’Association démocratique des femmes du Maroc (ADFM) – ont décidé d’unir leurs forces pour lancer un plaidoyer national inédit contre les violences basées sur le genre facilitées par la technologie (VBGFT). Cette initiative vise à dénoncer un phénomène en pleine expansion et à réclamer des réformes profondes, tant sur le plan juridique qu’institutionnel, pour mieux protéger les femmes et les filles.
Avec la généralisation des smartphones et l’usage massif des réseaux sociaux, l’espace numérique est devenu un terrain fertile pour de nouvelles formes d’agressions sexistes : cyberharcèlement, diffusion non consentie d’images intimes, usurpation d’identité, menaces en ligne ou encore deepfakes. Selon le Haut-Commissariat au Plan, 1,5 million de femmes marocaines ont déjà été victimes de violence numérique. Et d’après ONU Femmes, plus de 58 % d’entre elles déclarent avoir subi du harcèlement en ligne, un tiers affirmant que ces violences se sont ensuite matérialisées dans la vie réelle.
Derrière les écrans, les conséquences sont lourdes : perte d’estime de soi, anxiété, dépression, isolement social, frein à l’accès à l’emploi ou à l’éducation. Pour certaines, ces violences se transforment en véritable tragédie, allant jusqu’au suicide. « La violence numérique est une violation des droits humains, elle détruit des vies dans le silence », a averti Aatifa Timjerdine, présidente de l’ADFM.
Le Maroc dispose déjà de plusieurs textes encadrant la lutte contre la violence et la cybercriminalité. Mais pour les associations, ces dispositifs restent incomplets. L’absence de définition précise de la « violence numérique », combinée à certaines dispositions jugées liberticides, laisse de nombreuses victimes sans recours réel. À cela s’ajoute un faible taux de signalement : une majorité de femmes choisissent de ne pas porter plainte, par manque d’information ou de confiance dans les institutions. Ghizlane Mamouni, présidente de Kif Mama Kif Baba, insiste : « L’espace numérique ne peut pas être une zone de non-droit. Chaque victime doit pouvoir dénoncer sans craindre d’être punie à son tour. »
Pour faire évoluer la situation, les associations proposent une série de mesures : définir clairement les VBGFT dans la loi et prévoir des sanctions dissuasives, mener régulièrement des enquêtes nationales pour mesurer l’ampleur du phénomène, intégrer l’éducation numérique dans les écoles, créer des mécanismes de plainte sécurisés et accessibles, et impliquer les entreprises technologiques dans la prévention et la modération des contenus. « Ces violences prolongent les inégalités et réduisent au silence des voix féminines essentielles dans l’espace public. La responsabilité est collective », rappelle Abdelamjid Moundi, directeur de l’AMC.
Pour porter ce message au grand public, une campagne baptisée « Mamhkoumch » (« Ne te tais pas ») sera déployée sur les réseaux sociaux du 2 au 10 octobre 2025. Son objectif : sensibiliser, briser le tabou et rappeler que la lutte contre les violences numériques est une condition essentielle pour construire un espace digital plus sûr, plus libre et plus égalitaire.