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Art et design

Rencontre avec Christian Goetghebeur, l'artiste créateur de la série photographique « Sublimations »

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Né en 1964 et résidant à Paris, Christian Goetghebeur est un photographe réputé pour ses captures fascinantes de paysages urbains à travers le monde. Le 6 juillet 2024, il a exposé pour la première fois à Casablanca, à la galerie d'art EDEN. Lors de cette exposition, les visiteurs ont pu découvrir en sa présence des images fantasmagoriques de capitales iconiques telles que Cape Town, Miami, Pointe-à-Pitre, Rio de Janeiro et New York.

Qu'est-ce qui vous a inspiré́ à créer "Sublimations" ?

Sublimations est partie d’un désir, celui de donner une liberté́ totale aux couleurs, de s’extraire de la réalité́ observable pour créer un nouvel ensemble pictural. Aller au-delà de la réalité pour aboutir à une vision où la couleur a pris le pouvoir, un pouvoir total.

Je suis un photographe des espaces urbains et ce travail que j’ai intitulé « Sublimations » m’a paru apporter à certaines de mes photographies une nouvelle esthétique et plus spécifiquement pour cette exposition une connexion entre des villes éloignées les unes des autres.

Pouvez-vous nous parler de votre démarche de libération des couleurs dans cette série ?

La photo est le cadre dans lequel j’opère, c’est le seul : je me donne toutes les libertés dans le choix des couleurs pour modifier mes photos et leur apporter une esthétique particulière, souvent des couleurs fortes, un parti pris assumé. Dans ce travail de « Sublimations », j’emprunte à la peinture une partie de son processus créatif, à travers le choix des couleurs, alors qu’en général, en tant que photographe, ce sont les couleurs des scènes photographiées qui s’imposent à moi.

Comment "Sublimations" interroge-t-il l’âme de nos espaces urbains ?

Les villes sont indissociables de ceux et celles qui ont œuvré à leur édification, quelle que soit leur vision. Cette approche « Sublimations », en modifiant les couleurs et donc l’ensemble esthétique des paysages urbains, fait un pas de côté, et à ce titre, interroge l’âme de nos espaces urbains : la destination première des constructions, leurs enjeux, leurs ambitions, le projet architectural, le message politique, le contexte historique.

Par ailleurs, en libérant les couleurs de leur réalité, Sublimations met l’accent sur le champ de l’inventivité et de la création, et apporte une humanité différente aux espaces urbains.

Pourquoi est-il important pour vous de prendre de la distance avec le réel dans vos œuvres ?

Avec mes photographies, j’aime surprendre le passant qui voit sa ville différemment. Je pense à deux expositions, une sur Tanger et une autre sur Pointe à Pitre en Guadeloupe, où les habitants n’ont pas toujours reconnu leur ville à travers mes photos. Sublimations, c’est une démarche esthétique dans laquelle j’apporte encore plus ma subjectivité de photographe et d’observateur.

Quelles techniques utilisez-vous pour libérer les couleurs de leur réalité observable ?

Il faut d’abord que la photo soit très réussie. J’ai besoin de sentir qu’elle va gagner un supplément d’âme, une dimension supplémentaire si j’en modifie plus ou moins radicalement les couleurs. Ensuite, en post-production, j’utilise un logiciel pour la photographie, avec lequel je réalise ce travail qui peut être assez long : je me trouve confronté à devoir choisir les couleurs, m’assurer de la cohérence du tout, et de l’esthétique générale que je veux obtenir de la photographie.

Comment avez-vous choisi les villes iconiques représentées dans "Sublimations" ?

Cette exposition regroupe des photographies de paysages urbains prises sur plusieurs continents (Europe : Paris, Berlin, Anvers ; Afrique : Le Cap, Johannesburg, Tanger, Casablanca ; Amériques : Miami, New-York, Rio de Janeiro, Pointe à Pitre en Guadeloupe).  Ce sont des villes qui ont capté mon attention soit parce que j’y réside, soit au décours de voyages et de reportages.

C’est votre première exposition à Casablanca. Quelles sont vos attentes vis-à-vis du public ici ?

C’est tout d’abord une grande fierté d’exposer à Casablanca, une ville où vivent de nombreux amateurs d’art. J’espère que les Casablancais(es) seront séduits, voire interpelés par mon travail. Dans cette exposition, nous avons choisi d’intégrer des photographies de Casablanca (qui n’ont pas fait l’objet d’un travail de « Sublimations »), c’est un clin d’œil aux Casablancais.

Comment avez-vous sélectionné les photographies présentées dans cette exposition ?

Avec la directrice de la galerie Fatim Zarha Tahiri, nous avons choisi les photographies en les assemblant sans chronologie. L’exposition est construite avec des images détachées de leurs séries respectives, permettant de revoir des images photographiées de longues dates et de découvrir de nouveaux clichés. Nous avons été très attentifs à composer un ensemble cohérent et à mettre en connexion étonnamment des villes du monde supposées disjointes.

Quel message espérez-vous transmettre à travers "Sublimations" ?

En réalité, il s’agit d’une approche esthétique singulière qui fait appel à ma subjectivité́ de photographe dans ce qu’elle a de très personnel. Il se trouve qu’en « sublimant » des photographies de paysages urbains prises dans divers endroits de la planète, je crée une correspondance voire une connexion entre ces villes. C’est probablement un message sur l’universel et ce qui nous rassemble que je souhaite porter.

Avez-vous d'autres projets ou séries en cours qui suivent une démarche similaire à "Sublimations" ?

Je réalise actuellement un travail de « Sublimations » sur des séries photographiées dans un lieu particulier, comme Paris sur plusieurs années, ou Berlin en 1989 lors de la chute du mur. En parallèle de cette démarche, je photographie régulièrement le Maroc ou je vis une partie de l’année. Enfin je souhaite réaliser des séries dans lesquelles certaines photos feront peut-être l’objet d’un travail de « Sublimations ».

Quelles influences artistiques ont marqué votre parcours ?

J’ai commencé à pratiquer la photographie dès mon jeune âge. Très tôt, j’ai été influencé par des maitres de la photographie qui ont réalisé des scènes urbaines singulières et étonnantes par leur travail sur les ombres et les lumières. Je pense à Edouard Boubat, Brassai, Henri Cartier-Bresson. Je me suis intéresse tardivement à Saul Leiter dont j’admire le travail.

Comment décririez-vous votre évolution en tant qu'artiste depuis vos débuts jusqu'à aujourd'hui ?

Je pratique la photographie depuis 50 ans. Sur une période aussi longue, les influences et les évolutions sont nombreuses, sans compter le passage de l’argentique au numérique qui a modifié la prise de vue et le travail de post production. J’identifie un fil rouge, celui des paysages urbains qui a toujours été très présent dans mes photographies et constitué une source d’inspiration constante. Je porte aujourd’hui un regard continuellement curieux partout où je me déplace.

Quels conseils donneriez-vous aux jeunes photographes qui souhaitent explorer de nouvelles esthétiques ?

Je leur conseillerais de faire confiance à leur regard, de laisser vagabonder leur imaginaire, leurs fantasmes, et d’expérimenter sans cesse.