

À l’ombre des grands récits religieux et historiques qui entourent Achoura, il existe un autre langage, plus intime, plus sensoriel. Celui des femmes. En cette période de l’année, elles tissent une mémoire faite de rituels, de soins, de gestes transmis et de silences habités. Car si Achoura est une fête religieuse, elle est aussi, pour beaucoup de Marocaines, un moment de reconnexion à leur corps, à leur héritage féminin et à une spiritualité du quotidien.
La veille d’Achoura, les femmes convergent vers les hammams du quartier, comme on revient dans un lieu sacré. Le bain rituel n’est pas seulement question de propreté physique : il symbolise une purification, un renouveau. On y vient pour se délester du poids de l’année écoulée, pour faire peau neuve, pour repartir. Accompagnées de mères, de sœurs, de voisines, elles ravivent une sororité silencieuse où l’on parle peu, mais où tout se transmet dans le geste : l’art de bien se gommer, de poser le henné, de masser les jambes fatiguées.
Le henné appliqué sur les mains ou les pieds prend ici une valeur rituelle forte. Plus qu’un ornement, il est un signe de bénédiction, de protection. Sur les jeunes filles, c’est un passage, une entrée dans un cycle de conscience féminine. Sur les femmes plus âgées, c’est une réaffirmation d’appartenance à une lignée, à un rythme ancestral. Ces motifs qui ornent la peau sont comme des poèmes silencieux adressés à soi-même et au monde.
Achoura est aussi le temps des huiles parfumées, des gommages à base de ghassoul, des massages faits maison. À l’heure du retour au naturel, ces pratiques millénaires retrouvent une modernité inattendue. Elles reconnectent à une sensualité saine, non pas tournée vers l’apparence ou la séduction, mais vécue comme célébration de soi. Les femmes redonnent ainsi au corps sa juste place : non pas un objet, mais un témoin de ce qu’elles traversent, aiment et transmettent.
Pour beaucoup de femmes, les jours d’Achoura sont aussi rythmés par des prières, des lectures de Coran, des dons aux plus démunis. Cette spiritualité du quotidien s’exprime dans des gestes simples : nourrir, offrir, écouter. C’est une foi vivante, tissée dans la matière du réel. Les femmes sont souvent les premières gardiennes de cette spiritualité douce et incarnée, qui se vit à travers un plat cuisiné avec amour ou une parole transmise à un enfant.
Au cœur d’Achoura, il y a la transmission. Celle qui ne se crie pas mais se glisse entre les doigts d’une aînée posant le henné à sa petite-fille, ou dans la voix d’une mère racontant l’histoire du Prophète Moussa. Chaque famille réinvente ses rituels, ses propres façons de faire mémoire. Dans les quartiers populaires comme dans les foyers urbains, les femmes tracent le fil discret mais puissant d’une tradition qui sait évoluer sans se renier.
Achoura, ainsi vécue, dépasse les limites du rite religieux pour devenir un moment de retour à soi. Une fête silencieuse du féminin. Une pause sacrée entre corps et âme.
Profitant de son passage à Casablanca, la chanteuse...