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Art et design

La Biennale de Sharjah : un rendez-vous artistique hors du commun

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Depuis trois décennies, l’Émirat de Sharjah s’impose comme un acteur incontournable du paysage culturel mondial. La Biennale de Sharjah, fondée en 1993, n’a cessé de croître en influence et en pertinence. En 2025, sa 16e édition, intitulée « To Carry », propose une réflexion sur des thématiques contemporaines telles que la violence politique, la crise environnementale et les récits identitaires. Jusqu’au 15 juin, cet événement unique mobilise l’ensemble de l’Émirat dans une démarche artistique qui privilégie authenticité et profondeur, loin du sensationnalisme souvent associé à la région.

Un lancement sobre mais mémorable

Le 6 février dernier, une foule dense s’est réunie à Al Mureijah Arts Square pour l’inauguration de la Biennale. Contrairement aux extravagances typiques de l’émirat voisin de Dubaï, Sharjah a opté pour une approche discrète mais percutante. La présidente de la Sharjah Art Foundation (SAF), Sheikha Hoor Al Qasimi, a donné le coup d’envoi de l’exposition avec un discours empreint de simplicité et d’émotion. Parmi les invités de marque, Bonaventure Soh Bejeng Ndikung, curateur en chef de la prochaine Biennale de São Paulo, a attiré l’attention des artistes et des galeristes présents.

La Biennale s’étend sur plusieurs sites emblématiques, transformés pour l’occasion. L’ancien marché aux légumes de Jubail, par exemple, accueille des installations immersives signées Ellen Pau et Aziz Hazara. Le village abandonné d’Al Madam, enseveli sous le sable, devient un espace poétique où passé bédouin et art contemporain s’entrelacent. Le parc géologique de Buhais, quant à lui, dévoile des récits enfouis des premiers habitants de la région.

Une réflexion sur la violence et la résilience

L’un des thèmes centraux de cette édition est la violence politique. Lors de son discours inaugural, Sheikha Hoor Al Qasimi, arborant une keffieh palestinienne, a évoqué la souffrance des populations en crise, notamment à Gaza, concluant par un vibrant « Free Palestine » qui a ému l’audience. Ce positionnement audacieux reflète l’engagement de la Biennale à aborder des enjeux universels, tout en restant ancrée dans les réalités régionales.

Les cinq curatrices de cette édition — Alia Swastika, Amal Khalaf, Megan Tamati-Quennell, Natasha Ginwala et Zeynep Öz — ont orchestré une exposition regroupant plus de 250 œuvres de près de 200 artistes. Leur approche met en lumière des perspectives féminines et marginalisées, explorant des thèmes tels que le corps féminin, la spiritualité et les récits oubliés. Par exemple, l’artiste malaisienne Nadiah Bamadhaj revisite la figure mythique de Calon Arang, symbole de résistance féminine, à travers un collage puissant représentant un utérus en forme de poings serrés.

Le pouvoir du son et des récits ancestraux

Comme lors des éditions précédentes, le son occupe une place centrale dans la Biennale. Les œuvres sonores, souvent associées à des installations visuelles, invitent les spectateurs à une expérience multisensorielle. L’artiste marocain M’hammed Kilito, par exemple, explore les paysages sonores de l’oasis de Figuig dans une installation qui célèbre le patrimoine immatériel et les enseignements ancestraux.

Le projet « ihi », conçu par la curatrice maorie Megan Tamati-Quennell, rassemble des œuvres d’artistes indigènes des Amériques et de l’Océanie. L’une des pièces maîtresses de cette section est un piano de Michael Parekōwhai, présenté à la Biennale de Venise en 2011, entouré d’éléments symboliques évoquant les luttes et récits maoris. Cette collection met en lumière les savoirs indigènes souvent éclipsés par les récits dominants.

Un engagement culturel audacieux

Sous la direction visionnaire de Sheikha Hoor Al Qasimi, la Biennale de Sharjah se distingue par son approche authentique et inclusive. Contrairement aux tendances régionales favorisant les extravagances, Sharjah mise sur une programmation qui interpelle par sa simplicité et sa profondeur. En donnant une voix aux artistes marginalisés et en abordant des thématiques complexes, cette Biennale s’affirme comme un espace de dialogue et de réflexion.

Ce rendez-vous artistique, qui réunit des œuvres ambitieuses dans des lieux chargés d’histoire, confirme Sharjah comme un acteur clé du développement culturel mondial. À travers cette édition, la Biennale ne se contente pas de refléter les défis contemporains : elle propose de nouvelles manières de les comprendre et de les porter, fidèle à son thème, « To Carry ».