

À l’occasion du Salone del Mobile 2025 à Milan, Hicham Lahlou, figure majeure du design marocain et africain, a été nommé membre du jury du Salone Satellite Award, une distinction prestigieuse dans le monde du design international. Entre son engagement pour la valorisation du design africain, ses créations exposées à Milan et ses projets d’avenir, il nous livre une vision passionnée, lucide et engagée sur le rôle du design comme catalyseur d’innovation et levier de développement économique.
Félicitations pour votre nomination en tant que membre du jury du Salone Satellite Award 2025 ! Que représente cette reconnaissance pour vous ?
Merci beaucoup. C’est une immense fierté d’être nommé membre du jury de ce prestigieux Salon et du Salone Satellite Award 2025. Être aux côtés d’éminents experts reconnus mondialement dans le design et les industries créatives, et notamment de Paola Antonelli, figure incontournable du Museum of Modern Art de New York et présidente du jury, est un honneur. Je tiens également à remercier Marva Griffin, présidente fondatrice et curatrice du Salone Satellite, qui a créé une plateforme unique pour les jeunes designers, leur permettant de se faire connaître et, peut-être, d’être édités un jour par des marques prestigieuses du secteur.
Le Salone Satellite met en lumière les créateurs de demain. Quels sont, selon vous, les critères essentiels pour qu’un projet se démarque ?
Avec plus de 120 projets venus du monde entier, se démarquer demande une vision forte. Les critères sont clairs : développement durable, innovation, créativité et surtout design. Le design est le catalyseur de l’innovation. On ne peut parler d’innovation sans design — c’est un domaine stratégique à forte valeur ajoutée.
Nous analysons les projets selon des critères économiques, la pertinence des matériaux, la durabilité, la démarche créative. Un produit n’a pas de sens s’il n’intègre pas une conception responsable. C’est d’ailleurs un des Objectifs de Développement Durable de l’ONU : Responsible Consumption and Production.
Le design doit penser à l’impact, à la durabilité, à la fonctionnalité mais aussi à l’esthétique — cette part de rêve et d’émotion. Un bon design contribue à la performance économique. Comme le disait un président d’IBM : Good design is good business.
Vous avez toujours défendu le design africain. Quels sont les défis et opportunités pour les designers du continent ?
Effectivement, je défends le design africain avec conviction, depuis des années, aux côtés de confrères pionniers. Le Maroc, qui est un hub du continent, a un rôle clé. Le design est transversal, il touche à tous les domaines : économique, social, politique.
J’ai lancé le Africa Design Award en 2014, les Africa Design Days en 2015, et organisé un forum économique sur le design en 2017. J’ai été le premier Marocain, premier Arabe et deuxième Africain élu au conseil d’administration de la World Design Organization. De 2021 à 2023, j’ai été envoyé spécial pour l’Afrique du Nord, le Moyen-Orient et l’Afrique entière.
J’ai aussi co-écrit un ouvrage important sur le design africain : Génération Africaine, la force du design, en collaboration avec le professeur kenyan Mugendi M’Rithaa. Il présente 49 designers du continent et de la diaspora.
En 2018, j’ai été nommé commissaire en charge de l’Afrique pour le Salone Satellite, aux côtés des frères Campana pour l’Amérique latine. Nous y avons présenté une exposition regroupant 36 designers africains et latino-américains. Certains d’entre eux ont ensuite vu leurs œuvres dans Black Panther, dans des musées et grandes galeries.
Cette dynamique répond à une vision partagée, notamment celle de Sa Majesté le Roi Mohammed VI sur la coopération Sud-Sud. Ensemble, on va plus loin.
Dans votre propre travail, vous mêlez modernité et artisanat. Comment trouvez-vous cet équilibre ?
Innover dans l’artisanat, c’est insuffler l’esprit du design dans un savoir-faire séculaire. Le design peut préserver, transmettre et moderniser nos traditions. Il faut penser le design comme un outil stratégique pour positionner nos créations sur les marchés internationaux.
Mais pour cela, il faut du financement. Il faut que les plateformes de start-up intègrent le design. Une agence de design est aussi une start-up, et sans financement, elle ne peut se développer. Même dans le digital ou le gaming, ce sont les designers qui conçoivent les interfaces et les expériences utilisateurs.
Je lance un appel aux acteurs politiques et économiques : venez à Milan, voyez ce qui s’y passe. Le design y est moteur d’emploi, de performance et d’innovation. C’est un secteur stratégique.
Vous allez également présenter certaines de vos œuvres au Salone del Mobile. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Deux de mes œuvres seront présentées dans l’exposition Artisanat du monde – Mondes nouveaux au Salone Satellite.
La première, Emerald, est une pièce réalisée à Fès, mêlant cuir et travail du laiton, fruit d’une collaboration avec des maîtres artisans et la société Inimex. Elle a déjà été exposée à la Biennale d’art africain contemporain de Dakar, dans l’exposition sur le design de la biomasse.
La seconde, Clover Spring, est une collection de poufs inspirée du trèfle hispano-mauresque et de l’architecture islamique et marocaine. Ces créations font partie des coups de cœur du commissariat de l’exposition, aux côtés d’autres œuvres venues du monde entier, dont la marque marocaine Casa Amar, spécialisée dans le tapis berbère.
Le Maroc devient-il une référence en matière de design en Afrique ?
Le Maroc est incontestablement une référence en matière de design en Afrique. Mais nous devons encore renforcer les connexions avec les pays frères du continent. Le Maroc doit continuer à jouer son rôle de hub et de catalyseur, à travers le design, pour construire une dynamique collective forte.
Quels conseils donneriez-vous aux jeunes designers, notamment aux femmes qui souhaitent se faire une place dans cet univers ?
Je conseille aux jeunes — et particulièrement aux jeunes femmes — de venir voir le Salone Satellite. Il faut s’inspirer, observer, oser. De nombreuses femmes y exposent déjà. Il faut aussi que les politiques de financement soutiennent leurs ambitions. Mais aussi celles des designers installés, car il est urgent de structurer et de développer le secteur du design.
Quels sont vos prochains projets ?
En 2025-2026, je célébrerai 30 ans de carrière. Je prépare une grande exposition monographique. Je travaille aussi sur plusieurs projets de design pour des institutions publiques et privées.
Par ailleurs, je développe un projet très ambitieux : Africa Design Academy, en co-fondation avec Ahmed Laaroussi. Il s’agit de créer un réseau d’académies de design en Afrique, pour former des designers, des ingénieurs, des managers créatifs. Le Maroc est en retard sur la formation en design : il faut y remédier. Ce projet, à but structurant, nécessite un soutien fort et des financements adéquats. J’espère qu’il verra le jour comme il se doit.